Bribes d’impressions suite aux concerts des 9 et 11 août à Ceyzerieu
Solo. Josquin Otal a composé un répertoire sur mesure pour nos barques bigarrées
parties chacune à sa façon : explorer au hasard ou volontairement s’égarer.
D’abord un Scarlatti limpide et ludique filtrant par les eaux claires, ruisselé de son clavecin
et venu nous faire aimer la sonorité précise et fraîche du piano.
Au climax torrentiel, Scriabine sensuel, intense jaillissement,
gouttelettes lumineuses se substituant au firmament
laissé aux corps abandonnés dans la salle.
L’esprit en voyage harmonique si intime,
quasi impudique mais bientôt recouvert d’un voile plus classique.
Beethoven le vigoureux : oui, mais testamentaire.
Testament en deux paragraphes : synthèse du passé et condensé d’avenir.
Les coiffures se secouent dans les vaguelettes de contretemps.
Les pagaies figées, tous sont épatés de s’évoquer le jazz, pressés de raconter.
Mais Beethoven ne se raconte pas, il se souffre et sous l’évidence de l’incroyable
des larmes coulent, on se noie en dedans, la cahute bien au sec.
A l’embouchure, Chopin. Les embarcations se rassemblent à la vue de la terre :
forêts familières, futaies élancées, prairies rythmées d’un galop imaginaire.
Danse intériorisée, élans offerts, grand rire sage.
Et sage est la salle bien veillée, bien léchée, loin du snobisme citadin où parfois le grossier est chic et le respect caduque. On ose l’apéro saugrenu, finalement bienvenu et les langues disent sans scrupules la disparité des vécus, autant d’oreilles que de points de vue, parfois les yeux, parfois l’ému. Les jugements sont tombés au fond de l’eau, on s’émerveille, on cherche ses mots, on reviendra bientôt.
Duo. Le piano se rend invisible, avec une grande virtuosité il disparaît et devient la force chthonienne sur laquelle danse, si personnelle, la ligne de violoncelle d’Elia Cohen Weissert.
On découvre un visage, il vient ré-interpréter nos souvenirs de la Sonate pour arpeggione et du Cygne. Intense. Chaque phrase gravée dans nos masses par un archet espiègle en permanente rupture contrôlée.
Deux jours plus tard, comme si l’on ne s’étaient pas quittés. Trio.
Effleurements d’archets sur la salle au complet, un départ captivant.
Cadences arrachées à des tympans replets, appel d’applaudissements.
En subito piano saillies de merveilleux,
pizzicati taquins écoutés par les yeux.
Debussy le mystérieux : oui, mais primesautier.
Après Rachmaninov élégiaque où nous admirions la cohésion, ce Debussy direct, franc dans le lyrisme, joueur dans les sonorités sied parfaitement à nos oreilles distraites en besoin d’étonnement.
On prend l’habitude de lire à l’avance la musique dans les yeux d’Elia et d’en reconnaître l’écho dans les traits de violon d’Emily Sun.
De Mendelssohn à Suk nous nous immisçons avec délectation dans cette merveilleuse complicité de vibratos synchrones en nuances millimétrées, imitations joyeuses, homorythmies fusionnelles, modulations poignantes. Toujours avec six mains traçant un seul chemin. Quel bonheur de l’avoir parcouru près de vous, on ne peut le dire qu’en frappant dans nos mains.
Hélène M.Bourgeais
Photos : Lydie Georges